Un jour, vous regarderez quelqu’un danser et vous entendrez la musique dans son cœur. Un jour, devant un tableau, nous ne verrez plus un tableau, vous ressentirez sa présence. Un jour, un livre ne vous parlera pas, mais il vous entendra, comme personne dans votre entourage ne vous a entendu jusqu’à présent. Et tout d’un coup, la vie aura du sens. Tout simplement.
– Christian Bobin
Le 10 novembre dernier, il m’est arrivé un miracle. Je suis devenu père pour une deuxième fois. Cette fois-ci à quarante-cinq ans, soit quinze ans après mon premier garçon. Notre petite Sarah est arrivée au monde débordant de vitalité. Je suis, bien évidemment, comblé par ce véritable cadeau que la vie m’a offert pour une deuxième fois.
Or, avec sa venue, de nouvelles questions ont fait surface. Sarah devrait intégrer le « marché du travail » dans les années 2040… difficile de se projeter aussi loin dans le temps! Si une chose est certaine, c’est que la génération Artémis verra les premiers humains marcher sur Mars. Toujours fidèles à notre ADN d’explorateurs, nous sommes partis d’Afrique, nous avons traversé les océans, et nous deviendrons ipso facto une espèce interplanétaire.
Alors que l’horloge sonne presque minuit pour notre précieuse planète, je me demande si Sarah sera préparée à relever les défis qui l’attendent. Quelles valeurs définiront sa génération? Que signifiera « être humain » pour la première génération interplanétaire?
Voici trois souhaits pour cette génération émergente.
Créer du sens
Lors de la crise de la Covid, une de plus grandes prises de conscience a été l’importance que prends le sens dans nos vies. Des jeunes qui ne trouvent plus de sens dans ce qu’ils apprennent à l’école, en passant par des professionnels qui ne voient plus de sens dans leur emploi, jusqu’aux systèmes étatiques qui ne font plus de sens aux yeux des citoyens.
Lorsque l’on y réfléchit, le sens a toujours joué un rôle crucial dans notre courte histoire. À une certaine époque, on donnait du sens à la vie suivant le mouvement des astres et les aléas de la météo. Pour d’autres civilisations, c’était la religion qui jouait ce rôle en balisant nos souffrances et nos joies.
Aujourd’hui, en l’absence de tout repère externe, nous arborons nos lentilles cartésiennes et nous nous laissons obnubiler par des récits de croissance économique et de pouvoir. Nous nous demandons ensuite où nous avons égaré le sens, comme si ce dernier était un simple artefact caché derrière une roche.
Je souhaite à cette nouvelle génération d’être capable de créer du sens en son absence. Un leader du 21e siècle doit être capable de sortir du mode « pilote automatique » et de créer du sens, même dans l’ambigüité. Il prend le recul nécessaire pour concevoir de nouveaux récits fédérateurs et moins polarisants. Des récits qui créent des passerelles et orientent la discussion en tenant compte de notre matière première: émotions, passions, aspirations et rêves. Car le sens ne se manufacture guère; il se manifeste à celles et ceux qui savent l’apprivoiser.
Désenclaver les esprits
Lorsqu’une civilisation réussit à passer à une phase d’évolution ultérieure, c’est souvent dû à sa capacité de poser de nouvelles et de meilleures questions. Quand les questions sont de qualité, les réponses deviennent presque secondaires. « Et si nous sortions de notre grotte? ». « Et si nous n’étions pas le centre de l’univers? ». « Et si la terre était ronde? ». « Et si nous n’étions pas qu’une compagnie fabriquant des ordinateurs? ».
Cette génération devra apprendre à s’interroger et à ne pas craindre de remettre en cause les questions que l’on se pose. Prenez le débat sur le réchauffement climatique. L’une des raisons pour lesquelles nous n’arrivons pas à innover assez rapidement, c’est que l’on se pose encore des questions comme « non, mais il y a-t-il réellement un réchauffement de la planète? », à la place de « Il y a un réchauffement constaté par la communauté scientifique, comment coordonne-t-on les efforts mondiaux à ce sujet? ».
Malheureusement, l’un des grands freins de ce décloisonnement des savoirs c’est le système scolaire lui-même, qui ne réussit pas toujours à désenclaver nos esprits. Accepteriez-vous de travailler avec Windows 3.1 vieux de 30 ans? Comment se fait-il alors que, lorsqu’il s’agit d’envoyer nos jeunes à l’école, nous sommes tout-à-fait à l’aise que ce soit dans un système d’éducation qui n’a pas subi de mise à jour majeure depuis 125 ans? Et pire encore, lorsqu’un jeune lève la main pour dire qu’il ne se sent pas inspiré par telle matière, ou remettre en question le sens de certains apprentissages, on lui demande de rester assis et de se taire… Est-ce ainsi que l’on va bâtir les « movers and shakers of tomorrow » ?
Leur créativité et leur curiosité ne devraient pas être négligées; nous devons a minima les préserver. D’ailleurs, apprendre purement et simplement ne sera plus suffisant. Les analphabètes de demain seront ceux qui parviendront à réapprendre continuellement en maintenant la tension entre l’imaginaire et le possible.
Jadis, lorsque nous allions visiter un labyrinthe, au-delà d’en sortir, on acceptait d’aller s’y perdre et de l’habiter. Car un esprit libre est capable d’accueillir l’inconfort et de provoquer l’imagination.
Apprendre à conjuguer l’intangible
Dans « La mandoline du capitaine Corelli » de Louis de Bernières, un vieil homme raconte à ses enfants : « L’amour, c’est ce qu’il nous reste quand le feu de la folie amoureuse s’est éteint… C’est ce que nous éprouvions, ta mère et moi. Nous avions des racines qui poussaient en profondeur et se rapprochaient les unes des autres. Quand nos branches ont perdu leurs jolies fleurs, nous avons découvert que nous ne faisions plus qu’un seul arbre au lieu de deux. »
Bien que faire preuve d’esprit poétique ait mauvaise presse aujourd’hui, je souhaite à cette nouvelle génération de renouer avec l’art et notamment avec la poésie. Notre langage rationnel étant si limité, il faut réapprendre à conjuguer poésie, amour, croissance et dignité dans la même phrase. Une renaissance qui réconcilie l’intangible doit avoir lieu. Nos fintechs, nos licornes, nos milliardaires, tout cela est éphémère. Personne ne s’en souviendra. Marquez une victoire pour l’humanité et tous les livres d’histoire en parleront.
Et finalement, voici mon dernier souhait pour cette nouvelle génération : ne passez pas votre vie à rebondir sur les parois de l’existence. Devenez des rêveurs actifs. Vous avez l’opportunité de créer du sens autour de vous, de désenclaver les esprits créatifs et de décloisonner les savoirs. Faites-le avec humilité, passion et empathie.
Et toi, ma chère Sarah, ne te prends jamais trop au sérieux. Danse comme si personne ne te regarde. Engage-toi en suivant ton intuition et ton intelligence, mais engage-toi. Et rajoute un brin de poésie dans ta vie. Fais-le pour ton père, qui t’aime tant.