ⓘ Billet originellement paru au journal Les Affaires.
Un bon intrapreneur sait pertinemment que sa passion et sa résilience sont des atouts nécessaires, mais loin d’être suffisants pour franchir les multiples obstacles du monde corporatif.
Obnubilé par ses idées nouvelles, cet entrepreneur dans l’âme s’appuie souvent les mêmes ressorts en vue de concrétiser ses projets : recourir à son enthousiasme, à sa passion et à sa volonté de transformer l’entreprise du jour au lendemain.
Désolé, mais c’est précisément là qu’il fait fausse route. Parce que pour arriver à changer un système, peu importe sa nature et son degré de complexité, on ne peut plus se contenter d’appliquer et de répéter la même approche. La vie n’est pas un copier/coller. Plus philosophe, Ricardo dirait que suivre la même recette mène aux mêmes saveurs, couleurs et textures.
Or, en entreprise, les variables sont nombreuses, évoluent de manière exponentielle, et rapidement. Politiques, technologies, valeurs, culture, ressources humaines et financières, processus, positionnement : à la manière d’un acteur, l’intrapreneur doit composer avec plusieurs rôles et scénarios, en démontrant une agilité hors du commun. On pourrait aussi parler de personas différents.
Parfois, son meilleur complice sera un couteau suisse dans sa poche arrière ; d’autres fois, ce sera avec un couteau entre les dents qu’il s’attaquera à la forteresse corporative, envers et contre tous. Dans tous les cas, il devra faire preuve de souplesse et de sens du timing.
Lors de mon passage à la conférence Front-End Innovation au mois de mai dernier, un incontournable dans le domaine de l’innovation, le professeur Mark Leung du Rotman School of Management de l’Université de Toronto, nous a présenté l’une de ses recherches portant sur quatre archétypes de l’intrapreneur. Permettez-moi de les résumer à travers ces quatre personas :
Le fermier
L’analogie de l’agriculture consiste à utiliser le temps en notre faveur ; une démarche qui ne se veut surtout pas précipitée. Le fermier ne fait pas que planter des semences en attendant la moisson : son labeur est complexe et réfléchi.
Donc en bon fermier, vous devez analyser le sol, le travailler afin avoir un terreau fertile, là où vous pourrez semer et faire germer vos idées. Vous devrez accepter le fait que certaines récoltes ne voient jamais pas le jour, ce qui vous permettra d’aiguiser votre patience.
Ce persona est à adpter lorsque la vitesse d’adoption de nouvelles idées tend à s’éterniser, une situation prévalant dans plusieurs grandes organisations.
Le ninja
Ce persona n’emprunte pas le sens réel du terme ninja désignant, dans la culture japonaise, un espion ou un mercenaire. Ici, on fait plutôt allusion aux habiletés traditionnellement associées aux ninjas, c’est-à-dire à leur capacité à se faufiler dans des endroits improbables, à leur agilité et à leur rapidité, le tout doublé d’une discrétion déconcertante. Pensons à celles et ceux qui réussissent à livrer l’inattendu.
Le persona Ninja fait un travail de terrain, focalise sur la livraison, par exemple, ce prototype éloquent, trouver ces données probantes ou encore développer ce partenariat propulsant votre organisation à un niveau supérieur.
En tant qu’intrapreneur, il y aura des situations dans lesquelles vous devrez vous retrousser les manches et « make things happen », pour emprunter l’expression américaine.
Le diplomate
Doté d’un sens aigu d’empathie et de négociation, le diplomate sait habilement gérer des situations politiques avec la haute direction et les décideurs clés, afin de les sensibiliser et de démontrer concrètement ce qu’ils ont à gagner à converger vers une idée commune.
Doué en relationnel, le diplomate est un excellent raconteur d’histoires – dans le bon sens du terme. Fin psychologue, il sait bien lire les gens et adapter son discours en fonction de l’auditoire. Il sait d’office distinguer les cartésiens des émotifs en interpellant les bons hémisphères du cerveau dans ses discours.
Conseil : empruntez ce persona lorsque vous devrez bâtir des alliances fortes, créer des connexions entre des départements hétérogènes et structurer des réseaux influents.
Le bloqueur
Cette analogie fait référence au football américain. Appliqué au monde de l’entreprise, le bloqueur est le persona auquel nous allons confier nos idées à fort potentiel d’impact, celui qui va les défendre contre les attaques externes afin qu’elles puissent se rendre le plus loin possible. Suivant la naissance des idées, à cette étape fragile qu’est l’incubation, ce persona joue le rôle de gardien et de protecteur afin que ces idées arrivent à maturité. Robuste, énergétique, il affrontera différentes unités et comités en gardant le cap sur sa mission : assurer la survie des nouvelles idées !
Le professeur Leung, à travers cette recherche, met bien en lumière la richesse et la complexité du l’univers intrapreneurial, domaine dans lequel une approche, aussi efficace soit-elle, ne se suffira jamais à elle-même.
Je me permets de proposer un autre persona qui n’est pas abordé dans cette recherche: le « hustler ». Contrairement à ce que l’on puisse penser, ce vocable popularisé par le milieu entrepreneurial, en particulier celui des startups, l’esprit hustler, désigne la personne qui va trouver une porte d’entrée lorsque les 99 autres se ferment. Par sa ténacité, jumelée à une bonne dose d’intelligence, le hustler trouve toujours une façon d’arriver à ses fins. Un persona tout indiqué quand vous aurez épuisé les voies traditionnelles.
Ces archétypes illustrent des tactiques pratico-pratiques que vous, en tant qu’intrapreneur, pouvez utiliser à tout moment. Jouez le bon persona au bon moment, en fonction de la situation, pour vous sortir des méandres de l’organisation et vous rapprocher davantage de votre objectif !